composés de leurs molecules

Ces idées me fatiguaient horriblem[en]t!… Pour me soulager, je m’enfonçai dans la fuite des siècles : Je vis les Hom[m]es de 1992, lire notre histoire; je m’efforçai de les entendre, et je les entendis. La severité de leur jugem[en]t contre Louis m’étona ! Il me sembla que les Uns lui reprochaient des maux incalculables ; tandis que d’Autres plûs terribles encore, le remerçiaient d’avoir été l’instrument de la destruction de la Royauté. Je crus voir que toute l’Europe avait pris un Gouvernem[en]t nouveau ; mais je voyais sur les pages de l’histoire, les horribles secousses que les Nacions avaie[n]t éprouvées ! Il me semblait entendre les Lecteurs, se dire entr’eux : « Que nous sommes heureus, de n’avoir pas vécu dans ces temps horribles, où la vie des Hom[m]es était comptée pour rien » ! Un de leurs Filosofes s’écriait: « Il faut de temps-en-temps de ces secousses, pour faire sentir aux Hom[m]es le prix de la tranquilité, com[m]e il faut une maladie pour sentir le prix de la santé ! » Mais (lui dit Un de ses Confrères), aurais-tu voulu être le Secoueur, ou le Secoué ? « Non, non, je ne voudrais pas l’être ! mais je ne serais pas fâché de l’avoir été. Le mal passé, dont on n’en pas mort, est une jouissance… » Hâ ! les beaux Raisonneurs (s’écria un Songe-creux, tâpi dans un coin) ; Vous l’avez été : Vous étiéz les Hommes d’il y a 200 ans : Vous êtes composés de leurs molecules organiques : Et vous êtes en paix, parce que ces molecules sont lasses d’avoir été en guerre. Vous y reviéndrez, après un long repos…

N.-E. Rétif de la Bretonne, Les nuits de Paris, ou Le spectateur nocturne. Tome 16, 1794

Dans la figure : pp. 424-425 du tome 16 de Les nuits de Paris, 1794, Bibliothèque nationale de France, sous licence LO 2.0.