un reproche vivant

L’inspecteur Lognon attendait au bord du trottoir, rue de La Rochefoucauld, et, même de loin, il avait l’air de courber les épaules sous le poids de la fatalité. Il portait invariablement des complets d’un gris souris qui n’étaient jamais repassés et son pardessus était gris aussi, son chapeau d’un vilain brun. Ce n’était pas parce qu’il venait de passer la nuit que, ce matin, son teint était bilieux, ni qu’il paraissait avoir un rhume de cerveau. C’était son aspect de tous les jours et, quand il sortait de son lit, il devait offrir le même spectacle désolant. […] C’était toujours délicat de parler à Lognon parce que, quoi qu’on dît, il trouvait moyen d’y voir matière à vexation. […] Il ne ricanait pas. C’était difficile à expliquer. Son visage prenait une expression lugubre et résignée, comme s’il avait décidé d’être, pour une humanité cruelle et mal organisée, un reproche vivant.

G. Simenon, Maigret et la jeune morte, 1954


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